Influenceurs kinés : des professionnels de santé ou des experts de la com’ ?

influenceurs kinés
Publié par 13 mars 2025

Les influenceurs kinés sont désormais aussi présents sur les réseaux sociaux que dans leur cabinet. Qui sont-ils vraiment ? Et quelles sont leurs missions ?

 

Si l’influence marketing s’est généralisée depuis quelques années, cette forme innovante de communication s’est également répandue dans le domaine de la santé. Les influenceurs kinés, médecins, gynécologues… se sont multipliés notamment pour répondre à une demande croissante d’informations de la part des patients. Qui sont ces kinés influenceurs ? Comment exercent-ils au quotidien ? … Nous vous proposons un survol pour répondre à toutes ces questions et à bien d’autres.

 

La transformation numérique, un atout pour l’information des patients ?

 

Les informations médicales sur Internet… Voilà un sujet récurrent, qui concentre l’attention de tous les professionnels de santé (ou presque). Certains dénoncent, depuis longtemps, les « fake news », en l’occurrence des « Fake med ». D’autres y voient une explication à la défiance grandissante des patients face à la parole des médecins et des soignants et plus généralement face à la science.

 

D’autres aspirent à participer activement à cette réalité, contre laquelle il n’est plus possible de lutter, en proposant leur propre contenu éditorial ou vidéo à leur communauté. Certains vont même jusqu’à devenir des professionnels du conseil, voire des influenceurs. Les kinés constituent une des professions les plus représentées dans ces nouvelles formes d’accompagnement des patients.

 

Au départ, l’idée pouvait apparaître simple et évidente : apporter des informations utiles et pertinentes en réponse aux questions que peut se poser tout un chacun. Comment faire pour ne plus avoir mal au dos ? Quels sont les exercices kinés pour récupérer après une entorse de la cheville ? … Pour les patientes et les patients, il peut être difficile d’obtenir une réponse, d’autant plus en cette période de désertification médicale. Il n’est pas toujours évident de pouvoir obtenir un rendez-vous, dans des délais rapides ou tout du moins raisonnables, avec un kiné libéral. Les kinés influenceurs constituent donc la réponse idéale, même si la pratique interroge.

 

Le kiné influenceur, un professionnel de santé ou un geek à la pointe des nouvelles technologies ?

 

Depuis l’avènement de la transformation digitale, le marketing d’influence séduit chaque année davantage d’entreprises. Les contenus, produits par ces influenceurs, se révèlent précieux pour valoriser la marque et / ou les produits de cette dernière. Dans le domaine de la santé en général et de la kinésithérapie en particulier, le processus est le même.

 

Il s’agit donc de produire un contenu intéressant, de qualité et fiable qui séduira les patients potentiels (les prospects pour le marketing d’influence). Ces contenus prennent presque toujours la forme de vidéos, qui sont diffusés sur les réseaux sociaux (Instagram, YouTube, TikTok, …) des influenceurs.

 

Il est difficile de définir précisément le statut d’influenceur : à partir de quelle expertise peut-on parler d’influence ? Quelle doit être la taille de la communauté ? En revanche, lorsque l’on évoque le médecin influenceur ou le kiné influenceur, on se concentre toujours sur un professionnel de santé reconnu officiellement. En d’autres termes, un kiné influenceur reste titulaire du DE de masseur-kinésithérapeute (ou d’un titre reconnu comme équivalent).

 

Si les kinés influenceurs existent depuis de nombreuses années, leur nombre (mais aussi leur audience) a connu un pic de croissance au moment de la pandémie de Covid-19. Les confinements successifs ont poussé davantage de patients à rechercher des réponses et des informations en dehors des cabinets de kinésithérapie, qui étaient alors fermés. Ils sont donc nombreux à suivre la voie, défrichée par Major Mouvement, le surnom d’un masseur-kinésithérapeute toulousain, Grégoire GIBAUT, devenu célèbre avec une communauté de plus de 2.5 millions d’abonnés sur Instagram, l’écriture de plusieurs livres ou encore la participation régulière à des émissions de santé.

 

L’influence des kinés, un réel atout pour les patients ou une menace pour la santé ?

 

Les contenus des kinés influenceurs sont-ils toujours fiables puisqu’ils sont créés par des professionnels de santé ? La question doit être posée, quand on constate l’ampleur que prend cette tendance. En se lançant sur les réseaux sociaux (en plus de son activité professionnelle de masseur-kinésithérapeute libéral), Grégoire GIBAUT ne pensait pas que son succès le conduirait à devoir mettre cette activité professionnelle en pause. Il expliquait aux journalistes du Monde, que cette mise en sommeil de son exercice s’expliquait par l’augmentation du nombre de fans, prenant des rendez-vous dans le seul but de le rencontrer, en regrettant :

 

« Certains patients regardent juste le nombre de followers, pour eux c’est un gage de confiance, ça vaut plus que des diplômes. »

 

Les contenus proposés par Major Mouvement ou par d’autres grands noms de l’influence kiné (Monsieur Clavicule, Estelle Kiné, …) ont été souvent contrôlés et vérifiés, sans qu’aucun manquement ne soit constaté. Mais en est-il de tous les influenceurs kinés ? Nul ne peut répondre à cette question.

 

En janvier 2023, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) organisait un colloque sur la pertinence de la vulgarisation médicale et donc sur l’utilité de ces kinés influenceurs. Les professionnels de santé, les ordres professionnels, les autorités publiques, les syndicats… toutes les parties prenantes s’interrogent sur ces nouveaux modes de communications que s’approprient ces soignants.

 

Influenceur kiné : quel code de déontologie ?

 

Devenir influenceur kiné peut soulever quelques questions, dont deux apparaissent récurrentes dans la quasi-totalité des situations rencontrées :

 

1.   Peut-on être influenceur kiné et respecter le code déontologique de la profession ?

 

Tout masseur-kinésithérapeute doit se conformer aux règles légales édictées par le Code de la Santé Publique, mais aussi par le code déontologique de la profession. Cela pose principalement la question de la communication des professionnels de santé. Cette communication des kinés a connu une grande avancée en 2020, avec l’introduction du « principe de libre communication dans le respect des règles déontologiques ».

 

Cette liberté doit permettre de garantir la fiabilité et la pertinence des informations délivrées, et les influenceurs kinés se doivent de respecter ces règles, que l’Ordre des Masseurs Kinésithérapeutes a rappelées dans un dossier spécifique. Ainsi, le caractère commercial reste prohibé par la déontologie (mais aussi par le Code de la santé publique). De même, l’Ordre des Masseurs kinésithérapeutes rappelle l’interdiction de promouvoir une entreprise, une marque, des équipements moyennant finance. Ce sont pourtant les procédés utilisés par de nombreux professionnels de santé intervenant dans le domaine de l’influence.

 

2.   Les revenus tirés de la production de contenu sont-ils compatibles avec ceux issus de l’exercice professionnel ?

 

En réalité, ce questionnement met en évidence le « flou juridique » existant encore à l’heure actuelle. En 2023, Frédéric Srour, élu au conseil de l’ordre des masseurs kinésithérapeutes et chargé de la déontologie, résumait parfaitement la situation :  « Un kiné qui fait de l’édition, du contenu vidéo pour un tiers, ce n’est plus un kiné, administrativement parlant, c’est une entreprise. » C’est d’ailleurs comme ça que Major Mouvement a le droit de faire ce qu’il fait. »   Ce sont donc bien deux activités qui doivent être distinguées, l’une ne pouvant être liée directement à l’autre.

 

Cela pose de nombreuses questions d’interprétation, d’autant plus que certains influenceurs peuvent s’autoproclamer expert ou spécialiste sans pour autant pouvoir le justifier. Dans sa thèse de fin d’études, Lucas Victor-Pujebet souligne la nécessité de réglementer cette activité d’influenceur kiné, tant pour protéger la profession contre les dérives pouvant en découler que pour protéger les patientes et les patients. Il relate ainsi qu’« une personnalité Instagram se revendiquant spécialiste du dos et coach physique prétendait que masser la voûte plantaire deux minutes par jour avec une balle de massage permettait d’éradiquer une sciatique ». De quoi faire sourire les kinés libéraux, mais aussi et surtout de quoi tromper les patients !

 

On comprend que les kinés soient donc de plus en plus nombreux à endosser cette étiquette d’influenceurs. Apporter une information fiable et de qualité au plus grand nombre motive ces professionnels de santé, qui doivent cependant concilier leurs aspirations avec les textes en vigueur, dont le code de déontologie. Cela nécessitera aux pouvoirs publics de légiférer afin de réglementer une profession appelée à se répandre encore plus massivement : les influenceurs kinés.

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